Réponse à l’Andra
Cigéo, « conforme » aux droits des générations futures ?
Le vendredi 27 octobre 2023, jour de la décision du Conseil constitutionnel sur la QPC déposée par les associations et habitant·es opposées au projet d’enfouissement, l’Andra s’est fendue d’un communiqué au titre pompeux : « Cigéo est conforme aux droits des générations futures ».
Problème : l’intitulé n’est pas seulement prétentieux, il est aussi faux. La QPC que nous avions déposée ne concernait pas le projet Cigéo en lui-même, mais le cadre légal qui l’entoure. Le principe de la QPC est de questionner la constitutionnalité d’une loi, jamais d’un projet en soit. Si elle feint de l’ignorer, l’Andra le sait très bien – mais n’hésite pas, comme on peut le voir, à manipuler les faits pour faire avancer sa communication politique.
Ce faisant, l’Andra omet pourtant de mentionner que la reconnaissance constitutionnelle d’un droit des générations futures à un environnement sain est avant tout un camouflet infligé à son propre argumentaire. Car c’est bien elle qui, par la voix de son avocat, s’est retrouvée à défendre devant le Conseil constitutionnel que les générations futures ne pouvaient avoir aucun droit :
« Certes c’est une idée altruiste, une idée généreuse, une idée humaine même ! […] Mais cela reste une idée qui n’est pas juridiquement opérante [car] les générations futures, peut-être, certes, seront, mais à l’heure actuelle elles n’existent pas »(1).
L’Andra nous dit donc en substance qu’on ne devrait pas reconnaître de droits aux générations futures car leur existence future est incertaine. Cet argument, d’un certain cynisme, contraste avec le discours habituel de l’Andra, selon lequel l’avenir est si prévisible qu’elle peut affirmer que tout risque lié à la sûreté et la sécurité nucléaire de Cigéo a d’ores et déjà été « écarté avec suffisamment de certitude »(2).
Mais de telles contradictions ne sont pas surprenantes de la part de l’Andra, qui tient à certains égards bien davantage d’une agence de comm’ et de lobbying que d’une institution sérieuse sur le plan scientifique.
Ce sentiment se confirme à la lecture de la conclusion de son communiqué : « La réversibilité repose sur une conception technique qui permet de garantir que le stockage est flexible et adaptable ».
Un tel niveau de langue de bois ne peut qu’amener à se demander si, à l’Andra, on n’a pas définitivement perdu contact avec la réalité. Un « stockage », c’est un complexe industriel souterrain en béton armé, ça n’est pas « flexible ». Quand à son caractère « adaptable », dans le langage de l’Andra, cela signifie simplement que, si besoin, on pourra l’agrandir pour le remplir avec encore plus de substances toxiques que prévu initialement – par exemple, si un certain gouvernement décidait de relancer le nucléaire.
La « réversibilité » au sens de l’Andra n’a donc rien à voir avec la garantie de pouvoir intervenir si, demain ou dans quelques centaines d’années, ces substances commencent à s’infiltrer dans les nappes phréatiques et à empoisonner l’eau potable du bassin versant Seine-Marne pour des milliers d’années.
Mais c’est bien normal puisque, d’après l’Andra, il est tout simplement impossible qu’un accident soit à l’origine d’une quelconque contamination radioactive. Tout risque n’a-t-il pas été « écarté avec suffisamment de certitude » : pourquoi donc s’embarrasser à préparer ce qui n’arrivera pas ?
C’est pourquoi, pour l’Andra, les seules raisons pour lesquelles on pourrait bien avoir l’idée de ressortir les déchets de là serait de les « valoriser ». Selon elle, il est ainsi plus probable que l’on cherche à repêcher ces déchets pour en tirer profit – par quel moyen ou dans quel but, nous préférons ne pas l’imaginer – qu’à la suite d’un accident.
L’Andra elle même voyait pourtant bien en 2009 l’importance de faire en sorte que la possibilité de retirer les déchets du stockage soit réelle et non simplement théorique :
« Le financement d’une opération éventuelle de retrait de colis ouvre une problématique à explorer d’ici 2015 : le financement d’une telle opération doit-il être assuré par la génération qui décidera de construire et d’exploiter un nouveau module de stockage, par exemple en constituant une provision pour une opération éventuelle de retrait futur, ou bien par la génération qui déciderait ultérieurement une opération de retrait de colis ? »(3)
Un tel provisionnement aurait au moins le mérite d’apporter une contribution et éviter que nos descendant·es n’aient à supporter seul·es le poids d’une coûteuse intervention. À quoi bon poser un principe de réversibilité si les générations futures ne sont pas, dans 50 ou 100 ans, en mesure d’en supporter le financement ?
On n’a pourtant jamais plus entendu parler de cette idée de provisionnement. Et pour cause : cela demanderait de reconnaître la possibilité qu’un accident puisse arriver. Hors de question pour l’Andra et pour l’État. Tant pis pour les générations futures.
Là se trouve le cœur du problème : c’est en refusant obstinément de reconnaître que ce projet comporte des risques et incertitudes à long terme proprement incommensurables, que l’Andra porte le plus préjudice aux générations futures.
Car après tout, pourquoi les protéger s’il n’y a aucun risque ?
(1) – Intervention de l’avocat de l’Andra à l’audience de l’affaire n° 2023-1066-QPC : https://www.dailymotion.com/video/x8ow2x4
(2) – Mémoire en défense de l’Andra, § 344-345 :
« Certes, il n’est pas contesté que la sûreté et la sécurité nucléaire doivent être envisagée au stade de la DUP. Toutefois, dès lors que l’existence de tels risques a été écartée avec suffisamment de certitude au stade de la DUP […], rien ne justifie de refuser de reconnaître à ce projet une utilité publique ».
(3) ?